Dominique et Eli

Dominique de Pury, née le 20 avril 1933, en vivant au Togo près de 40 ans, depuis 1961, dans ce pays tout juste indépendant, puis en effectuant des allers-retours entre la France et le Togo jusqu’au décès de son amie Éli Agbobli en 2021, avait toutes les qualités requises pour créer des jardins d’enfants puis l’Ecole Normale d’Institutrices de Jardins d’enfants (ENIJE).

Elle l’a vécu sa mission dans la simplicité et l’humilité d’une servante de Jésus-Christ, ouverte à la richesse humaine et avec une conviction centrale : les enfants, même les plus petits, sont des personnes qui méritent attention, amour dans le respect de leur personnalité, en leur offrant la liberté d’esprit et les découvertes pour les apprentissages. Il faut noter l’exceptionnalité de ce ministère au bénéfice des tout-petits : à notre connaissance, ce domaine d’engagement n’a pas d’équivalent dans l’histoire de la Mission.

Témoignage[1] de Dominique de Pury et d’Éli Mawuli Agbobli : une amitié au long cours, confortée par la même foi chrétienne.

Nous sommes conscientes que si tant de jardins d’enfants ont pu s’ouvrir, que si tant de petits enfants ont pu s’épanouir, dans la joie, pendant ces 35 années et encore maintenant, c’est parce que nous étions deux, et que nous avons tout fait ensemble.Et nous sommes aussi bien conscientes que si cette collaboration étroite a été possible, si longtemps, c’est vraiment par l’effet de la grâce de Dieu.

Devant des tâches qui nous semblaient impossibles, ou des situations de conflit et d’incompréhension, ou devant des moments de découragement, nous avons pu tout partager et pendant toutes ces années, nous avons été portées par des Paroles telles que « Ne crains pas, car Je suis avec toi » (Ésaïe 43,5), « L’Éternel donne la force à celui qui est fatigué » (Ésaïe 40,29), « Ma grâce te suffit, Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi » Galates 2,20). Nous disons notre immense reconnaissance à Dieu pour toutes ces années et Lui donnons toute la Gloire !

Dominique de PURY[2]

Dominique, c’est d’abord une présence.

Il faut dire que la tendresse et la patience de la Tante Grand-mère à l’égard des enfants sont assez peu communes. Toute sa vie, ils ont été sa passion et sa joie. Au Togo, elle était Davigan, grande petite maman. (…) Et dire qu’on pourrait passer à côté d’elle sans la voir ! Non, pas vraiment. Il vaudrait mieux dire : sans la rencontrer. Sa silhouette élancée, ses tissus togolais, son chignon d’où s’échappent quelques mèches rebelles, son regard surtout, ce regard qui écoute, ne sauraient passer inaperçus.

Ferme et droit

Mais effacée, discrète, elle prend rarement la parole. Jamais sans avoir longuement pensé une réponse qui se fait attendre. Mûrie dans le silence, courtoise mais sans compromission, celle-ci jaillit enfin après un long frémissement des lèvres, trahissant une émotivité sous contrôle. Ferme et droit, la devise de la famille de Pury lui va comme un gant. […] « C’est une reine », déclare son frère et voisin, Pascal[3]. Faisant écho à ce que leur père, le pasteur Roland de Pury[4], écrivait de sa fille de 3 ans : « Dominique est impayable. Quand elle est tant soit peu contrariée, elle prend des airs d’impératrice en colère, vous regarde fixement en brandissant l’index : Tu oua oua (tu vas voir !) ». Mais le temps a passé et Marjolaine, sa jeune soeur, constate : « Avant elle était sévère et rigide. Maintenant elle est devenue douce. Elle est un lien dans la famille ».

Ensemble

Éli a été son inséparable compagne, au Togo, pendant trente-cinq ans. Attelées toutes deux à la même mission, elles se sont données corps et âme à l’éducation des tout-petits. […] Ensemble, ce mot revient souvent sur les lèvres de Dominique. C’est le mot-clé de la mission que, par ailleurs, elle se refuse à définir. […] « J’espère simplement avoir été dans le Plan de Dieu sur moi, et sur les autres à travers moi. Il faut qu’Il puisse m’utiliser comme Il veut. J’ai toujours eu l’impression d’être incapable d’accomplir ce qu’Il me demandait. Finalement Il a fait ce qu’Il voulait, car j’ai trouvé sur mon chemin des gens disponibles pour qu’on puisse faire des choses ensemble. »

« Ma grâce te suffit »

La retraite venue, célibataire, Dominique n’a pas l’impression d’avoir oublié sa vie personnelle pour la mission. « Ma vie a été tellement pleine ! J’ai trouvé des centaines d’amis et des milliers d’enfants… Reste ce besoin naturel de compter pour quelqu’un. Je l’ai ressenti après la mort de mes parents. Je me suis sentie orpheline : je n’avais plus personne. Alors une Parole a chassé ma tristesse : « Ma grâce te suffit ! ». Le Seigneur, c’est solide, Il est toujours là, plus présent, même qu’un père ou une mère. » Dominique se tait et son regard bleu se perd sur les collines. Dans le silence, le chant des cigales se fait plus intense. La brise du soir apporte un parfum de lavande et de thym. Gorgée de soleil, la terre chante la gloire de son créateur. « Dieu est. Cela suffit. »


[1] Citation du document manuscrit d’Éli et Dominique pour une intervention à Aix-en-Provence au temple ERF de la rue Villars, le 8 juin 1999.

[2] Extraits de Dominique de Pury, « Mission et éducation », dans la revue MISSION, mensuel protestant de mission et de relations internationales, Défap, décembre 1999/no 98, p. 9-10. Auteur : Odile Delcambre.

[3] Frère aîné, très proche de Dominique.

[4] Roland de Pury, né le 15 novembre 1907 à Neuchâtel (Suisse) et mort le 24 janvier 1979 dans le 1er arrondissement de Lyon, est un pasteur protestant suisse, connu pour son engagement en faveur des Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale.

Élisabeth Mawuli AGBOBLI[1]

« Je suis née dans une famille chrétienne, dans un village de la montagne d’Agou. J’ai reçu une éducation chrétienne à la maison, à l’école éwé pendant trois ans. Ensuite mes parents m’ont envoyée à l’école de français de l’Église dans un village de l’autre côté de la montagne.

C’était très dur. Il fallait se lever très tôt, avant le jour, préparer le repas à emporter, monter et descendre à travers la forêt et revenir le soir très tard dans la nuit[2]. Les maîtres étaient très sévères. Ils nous battaient beaucoup. C’est grâce aux encouragements et à la fermeté de mes parents que j’ai réussi à aller jusqu’au bout. Ensuite, j’ai fait l’école ménagère à LOMÉ pendant deux ans puis j’ai été engagée dans l’enseignement à l’école primaire évangélique. J’encadrais aussi les éclaireuses (scoutisme).

C’est alors que l’Église m’a demandé en 1964 d’aller travailler avec Dominique de Pury à Kpalimé. C’était très difficile d’accepter pour moi, d’accepter cette décision, de quitter mes amies et aller travailler avec une étrangère que je ne connaissais pas. Mais le Modérateur et ses collaborateurs m’ont encouragée à essayer. En octobre 1964, j’ai déménagé pour venir habiter et travailler avec Dominique. Je ne savais même pas comment l’appeler. » Éli AGBOBLI est décédée le 30 août 2021 au Togo, à l’âge de 86 ans.


[1] Citation du document manuscrit d’Éli et Dominique pour une intervention à Aix-en-Provence au temple ERF de la rue Villars, le 8 juin 1999, par Eli Agbobli, p. 5-6.

[2] NDLR : Dans ces pays tropicaux, les nuits sont aussi longues que les jours. Le soleil se lève à 6 heures et se couche à 18 heures.